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27 septembre 2010

Extrait de "Comment vaincre le fascisme ?" (Léon Trotsky) : Par le front unique - vers les Soviets [...]

Par le front unique - vers les Soviets, organes supérieurs du front unique

La vénération en paroles des Soviets est aussi répandue dans les cercles "de gauche" que l'incompréhension de leur fonction historique. Les Soviets sont définis le plus souvent comme les organes de la lutte pour le pouvoir, les organes du soulèvement et enfin les organes de la dictature. Ces définitions sont formellement correctes. Mais elles n'épuisent pas la fonction historique des Soviets. Et surtout, elles n'expliquent pas pourquoi ce sont précisément les Soviets qui sont nécessaires dans la lutte pour le pouvoir. La réponse à cette question est la suivante : de même que le syndicat est la forme élémentaire du front unique dans la lutte économique, de même le Soviet est la forme la plus élevée du front unique, quand arrive pour le prolétariat l'époque de la lutte pour le pouvoir.

Le Soviet en lui-même ne possède aucune force miraculeuse. Il n'est que le représentant de classe du prolétariat avec tous ses côtés forts et ses côtés faibles. Mais c'est précisément cela, et seulement cela, qui fait que le Soviet offre la possibilité organisationnelle aux ouvriers des différentes tendances politiques et qui sont à des niveaux différents de développement, d'unir leurs efforts dans la lutte révolutionnaire pour le pouvoir. Dans la situation actuelle pré-révolutionnaire, les ouvriers allemands d'avant-garde doivent avoir une idée très claire de la fonction historique des Soviets en tant qu'organes du front unique.

Si, au cours de la période préparatoire, le Parti communiste avait réussi à éliminer complètement des rangs du prolétariat tous les autres partis, et à rassembler sous son drapeau, tant politiquement qu'organisationnellement, l'écrasante majorité des ouvriers, les Soviets ne seraient d'aucune nécessité.

Mais, comme le prouve l'expérience historique, rien ne permet de croire que le Parti communiste, dans quelque pays que ce soit - dans les pays de vieille culture capitaliste encore moins que dans les pays arriérés -, réussisse à y occuper une position aussi totalement hégémonique au sein de la classe ouvrière, surtout avant la révolution prolétarienne.

L'Allemagne d'aujourd'hui nous montre précisément que la tâche de la lutte directe et immédiate pour le pouvoir se pose au prolétariat bien avant qu'il soit entièrement rassemblé sous le drapeau du Parti communiste. La situation révolutionnaire, au niveau politique, se caractérise précisément par le fait que tous les groupes et toutes les couches du prolétariat, ou du moins leur écrasante majorité, aspirent à unir leurs efforts pour changer le régime existant. Toutefois, cela ne signifie pas que tous comprennent comment procéder et encore moins qu'ils soient prêts à rompre avec leurs partis et à passer dans les rangs du Parti communiste. La conscience politique ne mûrit pas de façon aussi linéaire et uniforme, de profondes différences internes subsistent même à l'époque révolutionnaire quand tous les processus se font par bonds. Mais parallèlement, le besoin d'une organisation au-dessus des partis, englobant toute la c1asse, se fait particulièrement pressant. Donner forme à ce besoin, telle est la mission historique des Soviets. Tel est leur rôle immense. Dans les conditions d'une situation révolutionnaire, ils sont la plus haute expression organisationnelle de l'unité du prolétariat. Qui n'a pas compris cela n'a rien compris à la question des Soviets. ThaelmannNeumannRemmelepeuvent prononcer tous les discours et écrire tous les articles qu'ils veulent sur la future "Allemagne soviétique". Par leur politique actuelle ils sabotent la création des Soviets en Allemagne.

Etant très loin des événements, ne sachant pas directement ce que ressentent les masses, et n'ayant pas la possibilité de prendre chaque jour le pouls de la classe ouvrière, il m'est très difficile de prévoir les formes transitoires qui conduiront en Allemagne à la création des Soviets. Par ailleurs, j'ai émis l'hypothèse que les Soviets pourraient être l'extension des comités d'usine : en disant cela, je m'appuyais essentiellement sur l'expérience de 1923. Mais il est clair que ce n'est pas la seule voie. Sous la pression du chômage et de la misère d'une part, sous la poussée fasciste d'autre part, le besoin d'unité révolutionnaire peut prendre directement la forme des Soviets, laissant de côté les comités d'usine. Mais quelle que soit la voie par laquelle on arrivera aux Soviets, ils ne seront rien d'autre que l'expression organisationnelle des points forts et des points faibles du prolétariat, de ses différences internes et de son aspiration générale à les dépasser, en un mot, les organes du front unique de classe.

En Allemagne, la social-démocratie et le Parti communiste se partagent l'influence sur la majorité de la classe ouvrière. La direction sociale-démocrate fait ce qu'elle peut pour écarter d'elle les ouvriers. La direction du Parti communiste s'oppose de toutes ses forces à l'afflux des ouvriers. Cela a pour résultat l'apparition d'un troisième parti, qui s'accompagne d'une modification relativement lente du rapport des forces en faveur des communistes. Même si le Parti communiste menait une politique correcte, le besoin d'unité révolutionnaire de la classe croîtrait parmi les ouvriers infiniment plus vite que la prépondérance du Parti communiste à l'intérieur de la classe. La nécessité de la création des Soviets garderait ainsi toute son ampleur.

La création des Soviets présuppose l'accord des différents partis et organisations de la classe ouvrière, en commençant par les usines ; cet accord doit porter autant sur la nécessité des Soviets que sur le moment et le mode de leur formation. Cela signifie : les Soviets sont la forme achevée du front unique à l'époque révolutionnaire et leur apparition doit être précédée par la politique de front unique dans la période préparatoire.

Est-il nécessaire de rappeler encore une fois qu'au cours des six premiers mois de 1917 en Russie, c'étaient les conciliateurs, socialistes-révolutionnaires et mencheviks, qui détenaient la majorité dans les Soviets ? Le parti des bolcheviks, sans renoncer un seul instant à son indépendance révolutionnaire en tant que parti, respectait parallèlement, dans le cadre de l'activité des Soviets, la discipline organisationnelle par rapport à la majorité. Il est clair qu'en Allemagne, le Parti communiste occupera dès l'apparition du premier Soviet une place beaucoup plus importante que celle des bolcheviks dans les Soviets en mars 1917. Il n'est pas du tout exclu que les communistes gagnent très rapidement la majorité dans les Soviets. Ce qui n'enlèvera nullement à ceux-ci leur signification d'instruments de front unique, car, au début, la minorité les sociaux-démocrates, les sans-parti, les ouvriers catholiques, etc. - se comptera encore par millions, et le meilleur moyen pour se casser le cou, même dans la situation la plus révolutionnaire, est de ne pas tenir compte d'une telle minorité. Mais tout cela c'est la musique de l'avenir. Aujourd'hui, c'est le Parti communiste qui est la minorité. C'est de là qu'il faut partir.

Ce qui a été dit ne signifie pas, bien évidemment, que le chemin menant aux Soviets passe obligatoirement par un accord préalable avecWelsHilferding, Breitscheid, etc. En 1918, Hilferding se demandait comment inclure les Soviets dans la constitution de Weimar, sans nuire à cette dernière ; on peut penser qu'actuellement son esprit est occupé par le problème suivant : comment inclure les casernes fascistes dans la constitution de Weimar sans nuire à la social-démocratie ? Il faut passer à la création des Soviets au moment où l'état général du prolétariat le permet, même si cela se fait contre la volonté des sphères dirigeantes de la social-démocratie. Pour cela, il est nécessaire de détacher la base sociale-démocrate du sommet : mais on ne peut atteindre cet objectif, en faisant comme s'il était déjà réalisé. Pour détacher des millions d'ouvriers sociaux-démocrates de leurs chefs réactionnaires, il faut précisément montrer à ces travailleurs que nous sommes prêts à entrer dans les Soviets même avec ces "chefs".

Cependant, on ne peut considérer comme exclu à priori le fait que même la couche supérieure de la social-démocratie se verra obligée de monter sur la plaque chauffée à blanc des Soviets, pour tenter de répéter la manœuvre d'Ebert, Scheidemann, Haase et Cie en 1918-1919 : tout dépendra, alors, moins de la mauvaise volonté de ces messieurs que de la force et des conditions dans lesquelles l'histoire les saisira dans ses tenailles.

L'apparition du premier Soviet local important où les ouvriers sociaux-démocrates et communistes seraient présents non en tant qu'individus mais en tant qu'organisations, produirait un effet considérable sur l'ensemble de la classe ouvrière allemande. Non seulement les ouvriers sociaux-démocrates et sans parti, mais aussi les ouvriers libéraux et catholiques ne pourraient résister longtemps à cette force centripète. Toutes les parties du prolétariat allemand, le plus enclin et le plus apte à l'organisation, seraient attirées par les Soviets comme la limaille par l'aimant. Le Parti communiste trouverait dans les Soviets un nouveau terrain de lutte, exceptionnellement favorable, pour conquérir un rôle dirigeant dans la révolution prolétarienne. On peut considérer comme certain que la majorité écrasante des ouvriers sociaux-démocrates et même une partie non négligeable de l'appareil social-démocrate seraient dès maintenant entraînées dans le cadre des Soviets, si la direction du Parti communiste ne mettait pas tant de zèle à aider les chefs sociaux-démocrates à stopper la pression des masses.

Si le Parti communiste juge inacceptable tout accord avec les comités d'usine, les organisations sociales-démocrates, les syndicats, etc., sur un programme précis de tâches pratiques, cela signifie uniquement qu'il juge inacceptable de créer des Soviets avec la social-démocratie. Comme il ne peut y avoir de Soviets strictement communistes, car ils ne seraient utiles à personne, le rejet par le Parti communiste des accords et des actions communes avec les autres partis de la classe ouvrière, ne signifie rien d'autre que le rejet des Soviets.

Le Rote Fahne répondra, vraisemblablement, à ce raisonnement par une bordée d'injures et prouvera, comme deux et deux font quatre, que je suis l'agent électoral de Brüning, l'allié secret de Wels, etc. Je suis prêt à assumer la responsabilité de tous ces articles, mais à une seule condition : que le Rote Fahne, de son côté, explique aux ouvriers allemands comment, à quel moment et sous quelle forme les Soviets peuvent être créés en Allemagne sans la politique de front unique en direction des autres organisations ouvrières.

Pour éclairer la question des Soviets, en tant qu'organes du front unique, les réflexions qu'émet à ce sujet un des journaux de province du Parti communiste, le Klassenkampf (HalleMersenburg), sont très instructives.

"Toutes les organisations ouvrières- ironise le journal -, sous leur forme actuelle, avec toutes leurs erreurs et leurs faiblesses, doivent être réunies dans de larges unions antifascistes défensives. Qu'est-ce à dire ? Nous pouvons nous passer de longues explications théoriques ; l'histoire a été dans cette question le dur professeur de la classe ouvrière allemande : l'écrasement de la révolution de 1918-1919 fut le prix que paya la classe ouvrière allemande, pour le front unique de toutes les organisations ouvrières, qui n'était qu'un magma informe. "

Nous avons ici un exemple inégalé de bavardage superficiel !

Le front unique en 1918-1919 se réalisa essentiellement au travers des Soviets. Les spartakistes devaient-ils, oui ou non, entrer dans les Soviets. Si l'on prend cette citation au pied de la lettre, ils devaient rester à l'écart des Soviets. Mais comme les spartakistes représentaient une faible minorité de la classe ouvrière et ne pouvaient absolument pas substituer leurs propres Soviets à ceux des sociaux-démocrates, leur isolement par rapport aux Soviets aurait tout simplement signifié leur isolement par rapport à la révolution. Si le front unique avait cet aspect de "magma informe", la faute n'en incombait pas aux Soviets en tant qu'organes du front unique, mais à l'état politique de la classe ouvrière elle-même, c'est-à-dire à la faiblesse de l'Union spartakiste et à la force extraordinaire de la social-démocratie. D'une manière générale, le front unique ne saurait remplacer un puissant parti révolutionnaire. Il peut seulement l'aider à se renforcer. Ceci vaut pleinement pour les Soviets. La crainte qu'avait la faible Union spartakiste de laisser passer une situation exceptionnelle, l'a poussée à des actions ultra-gauches et à des interventions prématurées. Par contre, si les spartakistes étaient restés à l'extérieur du front unique, c'est-à-dire des Soviets, ces traits négatifs se seraient manifestés sans aucune doute encore plus nettement.

Ces gens-là n'ont-ils vraiment rien tiré de l'expérience de la révolution allemande de 1918-1919 ? Ont-ils lu ne serait-ce que La maladie infantile ? Le régime stalinien a vraiment causé des ravages dans les esprits ! Après avoir bureaucratisé les Soviets en URSS, les épigones les considèrent comme un simple instrument technique entre les mains de l'appareil du parti. On a oublié que les Soviets furent créés en tant que parlements ouvriers, et qu'ils attiraient les masses parce qu'ils offraient la possibilité de réunir côte à côte toutes les fractions de la classe ouvrière, indépendamment des différences de parti ; on a oublié que c'est précisément en cela que résidait la gigantesque force éducatrice et révolutionnaire des Soviets. Tout est oublié, confondu, défiguré. Oh, épigones trois fois maudits ! Le problème des rapports entre le parti et les Soviets a une importance décisive pour une politique révolutionnaire. Le cours actuel du Parti communiste vise de fait à substituer le parti aux Soviets; par contre, Hugo Urbahns, qui ne rate pas une occasion d'augmenter la confusion, s'apprête à substituer les Soviets au parti. D'après le compte rendu donné par le S.A.Z. , Urbahns a déclaré au cours d'une réunion tenue en janvier à Berlin, en critiquant les prétentions du Parti communiste à diriger la classe ouvrière : "La direction sera entre les mains des Soviets, élus par les masses elles-mêmes et non choisis selon la volonté et le bon plaisir d'un seul parti" (approbation massive). Il est tout à fait compréhensible que l'ultimatisme du Parti communiste irrite les ouvriers qui sont portés à applaudir toute protestation contre la forfanterie bureaucratique. Mais cela ne change rien au fait que la position d'Urbahns sur cette question aussi, n'a rien de commun avec le marxisme. Il est indiscutable que les ouvriers "eux-mêmes" éliront les Soviets. Toute la question est de savoir qui ils éliront. Nous devons entrer dans les Soviets avec les autres organisations, quelles qu'elles soient, avec "toutes leurs erreurs et leurs faiblesses". Mais penser que les Soviets peuvent "par eux-mêmes" diriger la lutte du prolétariat pour le pouvoir, revient à propager un grossier fétichisme du Soviet. Tout dépend du parti qui dirige les Soviets. C'est pourquoi, contrairement à Urbahns, les bolcheviks-léninistes ne refusent nullement au Parti communiste le droit de diriger les Soviets, au contraire, ils déclarent : ce n'est que sur la base du front unique, ce n'est qu'à travers les organisations de masse, que le Parti communiste peut conquérir une position dirigeante dans les futurs Soviets, et conduire le prolétariat à la conquête du pouvoir.

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