Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Revolt-United
Newsletter
Publicité
Revolt-United
Archives
Revolt-United
2 octobre 2010

LE CAPITALISME ? LE REMPLACEMENT DU TRAVAIL HUMAIN PAR LA MACHINE par Michel Peyret

Cela vient en son temps au cours de la conférence que donnait, en janvier 2005, à Bayonne, Anselm Jappe, dans le cadre du Forum Social du Pays Basque, mais j’ai saisi une phrase, que j’ai abondée de quelques autres, pour la renforcer dans son originalité comme dans sa profondeur théorique et politique, pour donner tout son sens à ma relecture du texte que Anselm Jappe avait, lui, intitulé : « Quelques bonnes raisons pour se libérer du travail. »

SE LIBERER DU TRAVAIL

Anselm Jappe disait effectivement, quoique moins schématiquement que ne l’exige un titre : « Cela veut donc dire que toute l’histoire du capitalisme est l’histoire du remplacement du travail vivant, du travail humain, par des machines, et cela veut dire aussi que le système capitaliste, dès le départ, sape ses propres bases, scie la branche sur laquelle il est assis. »

Cette deuxième proposition est au moins aussi importante que la première, peut-être aussi énigmatique au premier chef, en cela qu’elle apparaissait pour le moins quelque peu en contradiction avec la précédente. En effet si le capitalisme sape ainsi ses propres bases, on pourrait considérer qu’il met pas mal de temps à le faire, et sans que le résultat apparaisse toujours clairement. A moins que, justement, sa crise actuelle...

En tout cas, Anselm Jappe confirme la contradiction en ajoutant que le capitalisme ne peut y échapper : « Il est, dit-il, un système de marché nécessairement basé sur la concurrence : les capitalistes ne peuvent passer des accords entre eux pour qu’elle ne joue plus. Ils ne peuvent se dire : « On va arrêter cette course aux technologies pour stopper cette chute des profits. »

DE LA CONCURRENCE ET DES TECHONOLOGIES

Car, ajoute encore Anselm Jappe, sans toutefois tout expliquer encore de sa démarche, le capitalisme est une société de concurrence : il y a toujours quelqu’un qui utilise de nouvelles technologies. Donc ces processus continuent toujours : la force de travail est remplacée par des machines qui ne produisent pas de valeur.

Là, tout est dit : si la quantité de force de travail diminue, si les machines ne produisent pas de valeur nouvelle, on voit mal où, en quoi, ou qui, pourrait maintenir le profit, au moins le taux de profit. Nous sommes déjà arrivé là à ce que Marx appelait « la baisse tendancielle du taux de profit », formule qui pourrait sembler aussi hermétique que d’autres, si nous n’avions pas déjà lu Anselm Jappe, quelques autres, et surtout Marx...

QUAND LE « TRAVAIL » N’EXISTAIT PAS

« Il est significatif, dit Anselm Jappe, que le mot « travail », au sens moderne du terme, n’existait ni en grec, ni en latin, ni en d’autres langues. L’origine du mot « travail » dérive du latin « tripalium », un instrument à trois pieds utilisé à la fin de l’Antiquité pour torturer les serfs en révolte qui ne voulaient pas travailler.

A l’époque, il y avait beaucoup de personnes qui ne travaillaient que si on les y forçait par la torture. Ce mot « travail », qui n’est pas du latin classique mais qui est apparu au Moyen Age, ne signale pas encore l’activité en tant que telle, utile aux productifs, et encore moins l’épanouissement ou la réalisation de soi, mais indique déjà comment quelque chose de pénible est obtenu par la force, et quelque chose qui n’a pas u n contenu précis.

Il en est de même pour le mot latin « labor », qui désigne à l’origine un poids sous lequel on trébuche et indique tout genre de peine et de fatigue, y compris la douleur de la femme qui accouche, et non pas une activité utile.

« En allemand, « arbeit » désigne l’activité de l’orphelin, celui dont personne ne prend soin, astreint qu’il est aux activités les plus pénibles pour survivre...Tout cela démontre que la notion de travail, comme nous le concevons aujourd’hui, est relativement récente.

« Il en découle que le travail en tant que catégorie sociale, concept d’activité dans la société, n’est pas quelque chose de si naturel, de si évident, ni de si consubstanciel à l’être humain, mais plutôt une invention sociale... »

DES BESOINS, ET DES ACTIVITES POUR Y REPONDRE

« Dans la société pré-capitaliste industrielle, poursuit Anselm Jappe, les activités n’étaient qu’une réponse à un besoin. On déterminait les besoins, puis on mettait en oeuvre les activités nécessaires pour y répondre... Ce qui intéressait la société, ce n’était pas l’activité, c’était le résultat. Et c’est aussi la raison pour laquelle on cherchait plutôt à faire exécuter les activités les plus pénibles par des esclaves ou des serfs... On ne faisait pas travailler ces derniers pour « travailler », mais parce que les maîtres voulaient avoir la jouissance des biens de ce monde...

« Le monde capitaliste a changé la donne... Le travail est devenu le véritable but de la société, et non un moyen. A l’échelle de l’histoire mondiale, c’est un changement des plus importants : la société capitaliste est l’unique société dans l’histoire humaine pour laquelle la seule activité productive, ou ce que l’on peut appeler travail, n’est plus seulement un moyen pour atteindre un but, mais devient un but auto-référenciel. »

LE TRAVAIL CONCRET ET LE TRAVAIL ABSTRAIT

Selon Marx, poursuit Anselm Jappe, tout le travail dans la société capitaliste est ce que l’on peut appeler un travail abstrait. Il ne s’agit pas de travail immatériel, ou dans l’informatique :

« Dans le premier chapitre du Capital, qui ne débute pas du tout par les classes, ni par la lutte des classes, ni par la propriété des moyens de production, ni par le prolétariat, Marx commence en analysant les catégories qui sont, selon lui, les plus fondamentales de la société capitaliste et qui n’appartiennent qu’à elle : ce sont la marchandise, la valeur, l’argent et le travail abstrait.

« Pour Karl Marx, tout travail, dans un régime capitaliste, a deux côtés : il est en même temps travail abstrait et travail concret. Ce ne sont pas deux types de travail différent, mais deux faces de la même activité. Pour donner des exemples très simples : le travail du menuisier, du tailleur, sont, du côté concret, des activités très différentes, qu’on ne peut pas du tout comparer entre elles, car l’une utilise le tissu, l’autre le bois. Mais elles sont toutes les deux « une dépense de muscles, de nerfs ou de cerveau ». Tout travail est aussi en même temps une dépense d’énergie humaine.

C’est toujours vrai, mais c’est seulement dans la société capitaliste que cette dépense d’activité, d’énergie humaine, devient le côté le plus important au niveau social, parce qu’elle égale dans tous les travaux et dans toutes les marchandises. Parce que, si naturellement toute activité ne peut être réduite à une simple dépense d’énergie, c’est une dépense d’énergie qui se déroule dans le temps. Dans cette perspective, le travail du tailleur et celui du menuisier sont complètement différents du côté concret ; mais du côté abstrait – du côté de l’énergie dépensée – ils sont absolument égaux et la seule différence réside dans leur durée et donc dans leur quantité... »

LE TRAVAIL CREE LA VALEUR

Aussi, ce que dit Marx, c’est que c’est le travail dépensé qui définit la valeur des marchandises sur le marché capitaliste. C’est parce que le travail est égal pour toutes les marchandises qu’il permet leur comparaison. De manière simplifiée, la logique du raisonnement est celle-là : la valeur d’une marchandise est déterminée par le temps de travail nécessaire pour créer cette marchandise, et cela permet de faire l’impasse sur le volet concret de la marchandise.

« Reste, ajoute Anselm Jappe, que la marchandise doit rencontrer un besoin, sans quoi elle ne se vendrait pas », et bien que l’on puisse créer le besoin par la suite. « La nécessité, le besoin ne déterminent pas la valeur sur le marché : celle-ci dépend exclusivement du temps de travail qui a été dépensé. »

AVEC LE CAPITALISME, LE TRAVAIL ABSTRAIT

Le seul travail qui compte dans le régime capitaliste, c’est le travail abstrait, un travail indifférent à tout contenu et qui ne s’intéresse qu’à sa propre quantité. Ce qui compte, sur le marché capitaliste, c’est d’avoir la plus grande quantité de travail disponible pour pouvoir la vendre. Cette quantité de traduit dans la valeur et la valeur dans l’argent...

Chaque marchandise correspond à une quantité d’argent. Donc, devant l’argent, toutes les marchandises sont égales. Mais, en dernière analyse, l’argent n’est que le représentant du travail qui a été dépensé pour la production, du travail abstrait....

UN SYSTEME FETICHISTE

« C’est pourquoi, poursuit Anselm Jappe, en tant que tel, le capitalisme du système est « fétichiste ». Pour Marx, qui parle de « fétichisme de la marchandise », c’est un système automatique, anonyme, impersonnel, où les personnes doivent seulement exécuter les lois du marché. Les lois du marché disent qu’il faut rechercher la plus grande quantité d’argent, sous peine d’être éliminé par la concurrence.

« Et la plus grande quantité d’argent, cela veut dire qu’on doit réussir à mettre en marche la plus grande quantité de travail, parce que le travail donne la valeur et que le profit ne se crée que parce que Marx appelle la plus-value ou sur-valeur : il s’agit seulement d’une partie du travail des travailleurs – celle qui n’est pas payée et revient au propriétaire du capital qui fait son profit sur la plus-value – qui n’est par ailleurs qu’une partie de la valeur... »

L’ARGENT EST LE SEUL BUT

« Là, poursuit Jappe, le but de la production est de transformer une somme d’argent en une somme d’argent plus grande, il n’y a plus cet intérêt pour le besoin concret, mais seulement un intérêt pour une croissance quantitative... Quand l’argent est le but de la production, il n’y a aucun but concret, le seul but concret est donc quantitatif.

« C’est une différence énorme entre la société capitaliste et toutes les sociétés qui l’ont précédée. Elles étaient des sociétés plus ou moins stables, car elles cherchaient avant tout à satisfaire des besoins, au moins les besoins des maîtres, et cela signifie que tout but concret est limité – on ne peut pas manger tout le temps, toute activité concrète trouve sa limite. »

LES CONSEQUENCES ECOLOGIQUES, HUMAINES, SOCIALES...IGNOREES

Par contre, ajoute Jappe, « dans le cas d’une activité purement calculatrice, quantitative, comme l’augmentation du capital, de l’argent, dans la mesure où il n’y a là aucune limite naturelle, c’est un processus sans fin, induit par la concurrence qui s’oppose à toute limite et pousse à l’augmentation permanente du capital : ainsi agit chaque propriétaire du capital, sans aucun égard pour les conséquences écologiques, humaines, sociales, etc... »

Ainsi, le capital est donc de l’argent accumulé. L’argent est le représentant plus ou moins matériel de la valeur, et la valeur, c’est du travail.

Le capital ne s’oppose pas au travail, il est du travail accumulé : accumuler du capital, c’est accumuler du travail mort, du travail déjà passé, celui qui crée de la valeur. Celle-ci , transformée en argent, est ensuite réinvestie dans les cycles productifs, parce qu’un propriétaire de capital a intérêt à faire travailler le plus possible : c’est seulement en faisant travailler qu’on accumule du capital...

Donc la société du capital , n’est pas seulement la société de l’exploitation du travail des autres, mais en outre une société dans laquelle c’est le travail qui est la forme de richesse sociale. L’accumulation d’objets concrets, de biens d’usage, qui est bien réelle dans la société capitaliste industrielle, est, d’une certaine façon, un aspect secondaire, parce que tout le côté concret de la production n’est qu’une espèce de prétexte pour faire travailler.

LE TRAVAIL, CATEGORIE TYPIQUEMENT CAPITALISTE

« On peut donc dire, conclut Jappe sur ce point, que le travail est une catégorie typiquement capitaliste, qui n’a pas toujours existé. Avant l’apparition du capitalisme, et jusqu’à la révolution française, un jour sur trois était un jour férié ; même les paysans, s’ils travaillaient beaucoup à certains moments de l’année, travaillaient beaucoup moins à d’autres.

« Avec le capitalisme industriel, le temps de travail a doublé ou triplé en quelques décennies. Au début de la révolution industrielle, on travaillait 16 à 18 heures par jour...Aujourd’hui, en apparence, on travaille moins, cependant si l’on tient compte de la densité du travail, laquelle a beaucoup augmenté, il n’est pas sûr que l’on travaille moins maintenant qu’au dix-neuvième siècle... »

TRAVAILLER PLUS...

On a même ce paradoxe, dit Jappe, « qu’avec tous les moyens productifs inventés par le capitalisme, on travaille toujours plus... Le capitalisme a toujours été une société industrielle où toute invention technologique utilisée par le capitalisme visait toujours à remplacer le travail vivant par une machine... Cela veut dire que toute la technologie capitaliste est une technologie pour économiser le travail. Et donc pour produire le même nombre de choses qu’avant avec beaucoup moins de travail. » Le paradoxe, la contradiction, dont nous avions relevé l’existence dès le début de ce texte sont bien là : plus il y a de machines qui économisent le travail, plus il faut travailler !

Et ce paradoxe, cette contradiction, sont ceux du système capitaliste.

...OU TRAVAILLER MOINS

Si l’on est au contraire dans une société qui veut satisfaire des besoins concrets, il y a des possibilités technologiques pour produire davantage et cela veut dire que toute la société doit moins travailler, ou même, si l’on augmenter un peu la consommation matérielle, on peut produire un peu plus mais toujours en travaillant peu.

Dans la société capitaliste, qui n’a aucun but concret, aucune limite, aucune chose concrète vers laquelle elle tende, mais qui toujours ne vise qu’à augmenter la quantité d’argent, il est donc tout à fait logique que toute invention qui augmente la productivité du travail ait pour résultat de faire travailler encore plus les êtres humains.

« Je n’ai pas besoin de m’étendre, poursuit Jappe, sur les conséquences catastrophiques d’une telle société. C’est l’explication profonde de la crise écologique, qui n’est pas due à une avidité naturelle de l’homme qui voudrait toujours posséder plus, qui n’est même pas due au fait qu’il y ait trop d’humains au monde. »

LA CRISE ECOLOGIQUE

Pour Anselm Jappe, la raison la plus profonde de la crise écologique est, là aussi, la croissance de la productivité du travail : « parce que dans une logique d’accumulation du capital, c’est seulement la quantité de valeur qui est contenue dans chaque marchandise qui est intéressante...La productivité accrue du travail dans le système capitaliste pousse à toujours augmenter la production de biens concrets, absolument au-delà de tout besoin concret... »

Aussi, une société dans laquelle le travail est le bien suprême est une société aux conséquences catastrophiques, notamment sur le plan écologique. La société du travail est fort peu agréable pour les individus, pour la société et pour la planète entière.

IL N’Y A PLUS DE TRAVAIL

« Mais ce n’est pas tout », ajoute Anselm Jappe.

« Puisque la société de travail, après plus de deux siècles d’existence à peu près, déclare à ses membres mis en demeure : il n’y a plus de travail ! « Voici une société de travail où pour vivre il faut vendre sa force de travail si on n’est pas propriétaire du capital, mais qui ne veut plus de cette force de travail, qui ne l’intéresse plus. Donc, c’est la société de travail qui abolit le travail... »

Aussi, aujourd’hui, tout ce qui était la base du capitalisme semble être dans une grave crise...Et ceci non parce qu’il a suscité des adversaires implacables, non plus parce qu’il a créé un prolétariat dont la force pourrait le vaincre, comme ce fut longtemps l’espérance du mouvement ouvrier, mais parce que le capitalisme s’est sabordé lui-même, non pas par une volonté suicidaire immédiate, mais parce que cela était écrit dans son code génétique, au moment de sa naissance.

« C’est, reprend Anselm Jappe, une situation où le travail crée la richesse mais où le système productif n’a plus besoin de travail. La situation est paradoxale : la productivité à l’échelle mondiale cause la misère. C’est tellement paradoxal qu’on oublie souvent de la voir, comme toutes les choses qui sont tellement évidentes qu’on les perd de vue. »

CRITIQUER L’ACTIVITE HUMAINE N’AURAIT PAS DE SENS

Anselm Jappe avait prévenu : « Cette critique, avertissait-il, est basée sur une critique du travail, du travail conçu comme une catégorie typiquement capitaliste, comme le coeur même de la société capitaliste. Je fais la distinction entre « travail » et « activité », critiquer l’activité humaine n’aurait pas de sens. L’être humain est toujours actif d’une manière ou d’une autre pour organiser « l’échange organique avec la nature » comme l’écrit Marx, c’est-à-dire tirer de la nature ses besoins de subsistance. Mais ce qu’aujourd’hui, et depuis environ deux cents ans, nous appelons « travail » est bien distinct de l’activité, et de l’activité productive. »

 
Post Scriptum :

Je rappelle qu’il intitulait son texte : « Quelques bonnes raisons pour se libérer du travail. »

( Avec ces références, les lecteurs qui le désirent pourront facilement retrouver la totalité du texte de la conférence de Anselm Jappe )

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité