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10 juin 2009

Textes d'Emile Pouget sur le syndicalisme

I. — Les syndicats Les syndicats, cellule de l'organisation corporative, sont constitués par le groupement des ouvriers d'un même métier, d'une même industrie ou accomplissant des besognes similaires. La volonté initiale des constituants du syndicat est de réaliser une force capable de résister aux exigences patronales. Donc, le groupement se fait, spontanément, sur le terrain économique, sans qu'il soit besoin qu'intervienne aucune idée préconçue, ce sont des intérêts qui sont en jeu ; et tous les ouvriers qui ont des intérêts identiques à ceux débattus dans ce groupement peuvent s'y affilier, sans qu'ils aient à faire connaître quelles sont leurs conceptions en matière philosophique, politique ou religieuse. Une caractéristique du syndicat, sur laquelle il est nécessaire d'insister, est qu'il ne limite pas son action à revendiquer uniquement pour ses membres ; il n'est pas un groupement particulariste, mais profondément social, et c'est pour l'ensemble de la corporation qu'il combat. Par là même ne préside à sa coordination aucune pensée d'étroit égoïsme, mais un sentiment de profonde solidarité sociale ; il manifeste, dès l'origine, les tendances communistes qu'il porte en soi et qui iront en s'accentuant, au fur et à mesure de son développement. On sait que les syndicats ne sont pas de création récente, quoique la loi qui règle leur existence ne remonte qu'à 1884. Longtemps avant, malgré l'interdiction légale il s'en était constitué. Et c'est parce que, en fait, les syndicats avaient conquis leur place au soleil que l'État s'est avisé de leur reconnaître une existence légale ; il a sanctionné ce qu'il ne pouvait empêcher. Il l'a fait, d'ailleurs, avec l'arrière-pensée de canaliser et d'énerver cette force ouvrière. Ces préoccupations gouvernementales n'échappèrent pas à la clairvoyance des travailleurs. Aussi, dès l'abord, ils accueillirent avec répugnance et suspicion la loi nouvelle, se refusant à remplir les formalités exigées. Depuis lors, cependant, la plupart des syndicats qui se fondent ne se constituent plus en marge de la loi. Certes, il y a dans ce fait un peu d'accoutumance ; cependant, cela ne signifie pas que les organisations corporatives disciplinées se soumettent à l'esprit de la loi. Le contraire est plus exact : les syndicats ne tiennent pas compte des prescriptions législatives ; ils se développent sans se préoccuper d'elles et, s'ils remplissent les formalités exigées, c'est parce qu'ils n'y attachent aucune importance, se sachant assez forts pour passer outre. La loi de 1884, après avoir aboli la législation interdisant tout groupement corporatif édicte pour les syndicats la nécessité de déposer leurs statuts à la mairie et les noms de ceux qui, à un titre quelconque, sont chargés de l'administration; il est stipulé que ces derniers doivent être français. Les réunions syndicales sont libres ; elles se tiennent sans avis préalable aux autorités, sans qu'aucune entrave puisse être mise à leur tenue. De prime abord, l'objection faite à cette loi fut l'obligation de faire connaître le nom des militants du syndicat. On craignait avec raison que la police, avisée ainsi naturellement, n'intervînt chez les patrons des administrateurs et leur occasionnât des ennuis. Ce n'était pas une crainte exagérée ; la chose s'est produite un nombre incalculable de fois. Seulement, à la pratique de la lutte, les militants se sont rendu compte que cet inconvénient résultait autant de l'action syndicale elle-même que de la déclaration légale. L'administration syndicale est très simple; l'assemblée générale du syndicat nomme un conseil syndical de quelques membres, environ une dizaine, et un secrétaire et un trésorier ont charge de la besogne, toute d'administration. Les fonctions du conseil syndical, de même que celles du secrétaire et du trésorier, sont très définies, limitées à l'exécution des décisions de l'assemblée. Pour toute question d'ordre général et non prévue, c'est à elle qu'il en est référé. Les décisions de l'assemblée générale sont souveraines et valables quel que soit le nombre des membres présents. En cela se manifeste la divergence de principe qui met aux deux pôles le démocratisme et le syndicalisme. Le premier est la manifestation des majorités inconscientes, qui, par le jeu du suffrage universel, font bloc pour étouffer les minorités conscientes, en vertu du dogme de la souveraineté populaire. À cette souveraineté, le syndicalisme oppose les droits des individus et il tient seulement compte des volontés exprimées par eux. Si les volontés manifestées sont peu nombreuses, c'est regrettable, mais ce n'est pas une raison pour les annihiler sous le poids mort des inconsciences ; il considère donc que les indifférents, par le seul fait qu'ils ont négligé de formuler leur volonté, n'ont qu'à acquiescer aux décisions prises. Et cela est d'autant plus normal qu'ils se sont enlevé tout droit de critique, par leur apathie et leur résignation. La besogne du syndicat qui prime toutes les autres et qui lui donne son véritable caractère d'organisme de combat social est une besogne de lutte de classe ; elle est de résistance et d'éducation. Le syndicat veille aux intérêts professionnels, non pas spécialement de ses membres, mais de l'ensemble de la corporation ; par son action, il tient en respect le patron, réfrène ses insatiables désirs d'exploitation, revendique un mieux-être toujours plus considérable, se préoccupe des conditions d'hygiène dans la production, etc. Outre cette besogne quotidienne, il a souci de ne pas négliger l'œuvre éducatrice qui consiste à préparer la mentalité des travailleurs à une transformation sociale éliminant le patronat. Les besognes au jour le jour auxquelles le syndicat fait face sont de deux ordres: appui mutuel et résistance ; ainsi il s'occupe du placement des sans-travail et facilite à ceux-ci la recherche d'emploi ; il y a même des syndicats qui s'adonnent à des œuvres de mutualité, telles que secours de maladie, de chômage, etc. C'est dans cette voie, qui n'est pas spécifique de la lutte de classe et qui, au contraire, si d'autre horizon n'apparaissait pas, constituerait une adaptation du syndicat au milieu capitaliste, que les pouvoirs publics voudraient voir s'aiguiller les organisations corporatives. Ils les souhaiteraient mettant au premier plan ces œuvres, plus mutualistes que revendicatrices. Mais les syndicats français ont dépassé ce stade ; ils ont fait de la mutualité autrefois, principalement pour masquer l'œuvre illégale de résistance au patronat ; ils ont même caressé le rêve de s'émanciper par la coopération ; seulement, l'expérience aidant, ils se sont dégagés et, aujourd'hui, c'est l'œuvre de résistance à l'exploitation capitaliste qui domine toutes leurs préoccupations. Cette attitude différencie les syndicats français de ceux des autres pays (Angleterre, Allemagne, etc.), où la mutualité tient une large place dans les préoccupations. En France, on ne dédaigne pas la mutualité, forme primaire de la solidarité, mais on en fait en dehors du syndicat, afin de ne pas surcharger l'organisme de lutte et risquer d'atténuer ainsi sa force combative. Le tableau suivant, qui indique les institutions créées par les syndicats, fait constater le rôle effacé attribué à la mutualité dans les syndicats. Sur plus de 5500 syndicats au 1er janvier 1908, date de la dernière statistique, qui englobe les syndicats ouvriers «rouges» aussi bien que les «jaunes», et qui a été dressée par le ministère du Travail, il y avait en leur sein: Bureaux ou offices de placement 1290 Bibliothèques professionnelles 1412 Caisses de secours mutuels 1037 Caisses de chômage 743 Secours de route (viaticum) 972 Cours et écoles professionnelles 484 Caisses de retraite 95 Caisses de crédit mutuel 75 Coopératives de consommation, économats 126 Coopératives de production 64 On le voit, à part les bureaux de placement qui, après les bibliothèques, tiennent le premier rang, les œuvres de mutualité n'arrivent pas à dépasser le cinquième de l'effectif des organisations syndicales. Les caisses de chômage et celles de secours de route, qui sont une sorte de solidarité de classe, viennent à peu près sur le même rang — englobant environ le sixième de l'effectif syndical. Le gouvernement s'est préoccupé de pousser au développement des caisses de chômage, en accordant une prime— sous forme de subvention globale de cent mille francs à répartir annuellement entre elles —, mais l'appât de cette subvention n'a pas eu l'effet qu'il espérait. Les organisations corporatives n'ont pas été aguichées ; elles ont prêté à l'État l'arrière-pensée de vouloir les leurrer, avec l'espoir de pallier le chômage grâce à ces caisses. Aussi, infime est le nombre des organisations qui, sur cette incitation, ont constitué des caisses de chômage; la majeure partie des caisses est antérieure à cette subvention. Dans la plupart des cas, avons-nous dit, les caisses de mutualité et de chômage ne sont pas soudées au syndicat ; elles en sont des filiales autonomes, ayant une existence propre, et l'adhésion à ces caisses n'est pas, pour le syndiqué, obligatoire. Il n'en est guère autrement que dans les syndicats de constitution déjà ancienne. L'autonomie relative de ces diverses œuvres a l'avantage de ne pas surcharger le syndicat de préoccupations autres que la résistance et de ne pas atténuer son caractère de lutte de classe. C'est cela qui est, en France, l'objectif dominant de l'organisation syndicale: la lutte de classe. Et c'est justement parce qu'ils ont ce caractère nettement combatif que les syndicats n'ont pas encore englobé dans leur sein les foules ouvrières dont s'enorgueillissent les organisations d'autres pays. Seulement, ce qu'il faut souligner, c'est que ces foules vont à ces syndicats attirées surtout par le mirage de la mutualité, tandis qu'en France ces préoccupations sont très secondaires et les travailleurs se syndiquent parce qu'ils sentent — plus ou moins vaguement ou nettement —la nécessité de la résistance au patronat. Ce caractère des syndicats français, les statuts types édités par la Confédération générale du Travail le formulent en la suivante déclaration préalable : «Considérant que par sa seule puissance le travailleur ne peut espérer réduire l'exploitation dont il est victime; , Que, d'autre part, ce serait s'illusionner que d'attendre notre émancipation des gouvernants, car — à les supposer animés des meilleures intentions à notre égard — ils ne peuvent rien de définitif, attendu que l'amélioration de notre sort est en raison directe de la décroissance de la puissance gouvernementale ; Considérant que, de par les effets de l'industrie moderne et de l'appui «logique» que procure le pouvoir aux détenteurs de la propriété et des instruments de production, il y a antagonisme permanent entre le Capital et le Travail ; Que, de ce fait, deux classes bien distinctes et irréconciliables sont en présence : d'un côté, ceux qui détiennent le Capital, de l'autre les Producteurs qui sont les créateurs de toutes les richesses, puisque le Capital ne se constitue que par un prélèvement effectué au détriment du Travail ; Pour ces raisons, les prolétaires doivent donc se faire un devoir de mettre en application l'axiome de l'Internationale: «L'ÉMANCIPATION DES TRAVAILLEURS NE PEUT ÊTRE QUE L'ŒUVRE DES TRAVAILLEURS EUX-MEMES» ; Considérant que, pour atteindre ce but, de toutes les formes de groupement le syndicat est la meilleure, attendu qu'il est un groupement d'intérêts coalisant les exploités devant l'ennemi commun: le capitaliste; que par cela même il rallie dans son sein tous les producteurs de quelque opinion ou conception philosophique, politique ou religieuse qu'ils se réclament ; Considérant également que si le syndicat se cantonnait dans un isolement regrettable, il commettrait fatalement (toutes proportions gardées) la même erreur que le travailleur isolé et qu'il manquerait ainsi à la pratique de la solidarité; il y a donc nécessité que tous les producteurs s'unissent d'abord dans le syndicat et, ce premier acte réalisé, complètent l'œuvre syndicale en faisant adhérer leur syndicat à leur Fédération locale ou Bourse du travail, et par le canal de leur union nationale à la Confédération générale du Travail ; À cette condition seulement, les travailleurs pourront lutter efficacement contre les oppresseurs jusqu'à la complète disparition du salariat et du patronat.» Cette déclaration, qui précise l'orientation syndicale, est, en termes plus ou moins explicites, celle dont se réclament la grande majorité des syndicats. En effet, sur les 5 500 syndicats, les plus actifs, les plus vivants — ceux qu'on qualifie de «syndicats rouges»— sont adhérents à la Confédération du Travail. Celle-ci groupe, en fait, dans sa section des fédérations, 2 600 syndicats et, si l'on tient compte qu'à sa section des Bourses du travail sont groupés nombre de syndicats qui ne sont pas affiliés à une Fédération corporative, on constate que plus des deux tiers des syndicats sont confédérés. Outre les syndicats adhérant seulement à leur Fédération corporative et à leur Bourse du travail, le nombre de ceux adhérant seulement à leur Bourse s'élève à la section des Bourses du travail à environ 900. Ces syndicats, ajoutés aux 2 600 affilés aux Fédérations corporatives, donnent un total de 3 500 syndicats confédérés. D'autre part, il faut se souvenir que les statistiques gouvernementales n'ont qu'une valeur relative. Sur les 5 500 syndicats qu'elles annoncent, il en est de fictifs et d'inexistants —, sans compter les syndicats jaunes. Or, quoique la plupart de ces derniers n'aient qu'une vitalité problématique, constitués qu'ils sont sous l'influence patronale, ils n'en font pas moins nombre. Ainsi, dans le seul département du Nord (qui d'ailleurs à ce point de vue offre une situation tout à fait exceptionnelle), les patrons, aidés des congrégations religieuses, ont créé une centaine de syndicats jaunes; la plupart de ces prétendus syndicats comprennent une trentaine d'ouvriers d'une même usine, sous les ordres d'un contremaître. De tels agglomérats n'ont de syndicats que l'étiquette — cependant ils ont leur état civil à l'Annuaire des syndicats que publie l'État. Par conséquent, en faisant le départ des syndicats fictifs, problématiques et jaunes, on constate que la majeure partie des syndicats relève de la Confédération générale du Travail.
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